Sur l’excellent blog Canticum Salomonis, https://sicutincensum.wordpress.com/ on trouve cet exposé sur le chapitre cathédral de Lyon et les usages liturgiques lyonnais qui sont, il faut bien le dire, fascinants ; certains usages qui demeurent encore aujourd’hui, et nous savons de quoi nous parlons, puisque la schola a souvent chanté à Saint – Etienne et dans la région et s’est pliée autant que faire se peut, aux usage du rite lyonnais (par exemple les ornements gris aux féries du Carême). C’est avec grand plaisir donc que nous vous proposons la traduction de cet article dont on trouvera l’original ici :
On the Canonical Chapter of Lyons
Comme à l’habitude, [quelques commentaires en rouge] et quelques mise en avant en gras.
Le chapitre canonique de la cathédrale Saint-Jean à Lyon [on l’appelle localement la « primatiale », parce que pour rappel, l’archevêque de Lyon est aussi le primat des Gaules ; le « saint Jean », dont on parle ici, est évidemment saint Jean-Baptiste. L’église a aussi un second titulaire : Saint Etienne, protomartyr.] s’est longtemps distingué comme l’un des chapitres de la cathédrale les plus puissants et les plus liturgiquement dédiés de la chrétienté. C’est principalement grâce aux efforts de ces chanoines, qui ont dû apprendre par cœur l’ensemble de l’Office pour être admis dans le chapitre, que l’usage lyonnais médiéval a survécu jusqu’au XVIIIe siècle. [Le livre liturgique au moyen âge était précieux et rare ; la plupart des clercs astreints à l’office en connaissaient une grande partie par cœur ; de toutes façons, spécialement pour les offices nocturnes – matines, voire laudes au lever du jour et complies, l’éclairage présent au chœur ne permettait pas de faire de longues lectures sans s’abîmer les yeux ; il fallait donc en connaître la plus grande partie par cœur. Le livre individuel contemporain, au chœur, rangé sous la stalle, est ainsi , si on y réfléchit bien une faute de goût ; et c’est probablement l’irruption de la culture de l’écrit qui a été le prémisse de la décadence liturgique ; cela a ses conséquences qui vont beaucoup plus loin qu’on le pense, notamment au regard du rapport du croyant à l’écriture sainte et la question du « lieu » liturgique de la parole de Dieu ; sur ces deux questions voir :
- http://www.scholasaintmaur.net/la-liturgie-celebration-de-la-parole-de-dieu-ii/
- liturgie, oralité, rubricisme : http://proliturgia.pagesperso-orange.fr/fond_files/cliquer-ici.pdf
] Dans cet extrait, l’éminent liturgiste Archdale King décrit les caractéristiques du chapitre lyonnais:
L’Église de Lyon s’est distinguée à travers les siècles pour sa fidélité à la tradition liturgique. Saint Bernard (+ 1153) dans son reproche à ses chanoines pour leur adoption d’une nouvelle fête (Conception de Notre Dame) leur rappelle son conservatisme coutumier:
« Parmi toutes les Eglises de France, l’Eglise de Lyon est réputée pour sa dignité, son apprentissage et ses coutumes méritoires. Où était davantage prééminent la discipline stricte, la conduite grave, les conseils mûrs et le poids si imposant de l’autorité et de la tradition ? Spécialement en ce qui concerne les offices liturgiques, cette Eglise, si pleine de jugement, a semblé prudente dans l’adoption des nouveautés, et en veillant à ne jamais laisser sa réputation souillée par quelque légèreté enfantine. »
[Notons que cette « légèreté enfantine » qui serait selon Saint Bernard la piété envers l’Immaculée conception, est désormais bien adoptée à Lyon où c’est bien sûr une fête majeure avec procession ; à Saint-Etienne l’usage est même parfois de lui faire prendre le pas sur le 2ème dimanche de l’Avent … C’est à Lyon en effet que désormais les célébration du 8 décembre sont les plus fastes ; et comme beaucoup de fêtes chrétiennes, le ‘siècle’ cherche aujourd’hui à la paganiser à Lyon même avec la « fête des lumières ». Sur l’opposition de S. Bernard à la doctrine de l’Immaculée conception on lira avec profit dom Guéranger, « Mémoire sur l’Immaculée conception » ici : http://www.domgueranger.net/memoire-sur-la-question-de-limmaculee-conception-1850/]
Un hommage semblable a été rendu à l’église de Lyon au 17ème siècle par le cardinal Bona (+ 1674):
« Une Eglise qui ne sait rien des nouveautés, s’accrochant tenacement, en matière de chant et de cérémonies, à la tradition ancienne.
Ce conservatisme louable était dû en grande partie à l’autorité sans précédent exercée par les chanoines. Au XIIème siècle, ils étaient au nombre de soixante-douze en souvenir des disciples de notre Seigneur, mais après une certaine fluctuation, leur nombre fut ramené à trente-deux par une charte du roi Philippe V en 1321. Cet arrangement fut confirmé par une bulle de Clément VI (1342-52) en 1347. En 1173, les chanoines de l’église primatiale de Saint-Jean s’étaient vu attribuer la juridiction temporelle de la ville par Guy, comte de Forez, [cette incise tend à donner raison aux stéphanois dans la rivalité qui existe aujourd’hui entre les deux villes ; nous savons de quel côté de la polémique se place la schola saint Maur ….] et en même temps le titre de comte leur a été conféré. Lyon passe sous le contrôle du roi de France en 1312, mais Philippe le Bel maintient expressément la noblesse des chanoines, qui, en 1745, sont autorisés par Louis XV à porter une croix d’émail blanc sur leurs mozettes. Cette qualification de « comte » a cessé avec la Révolution, mais la croix est encore utilisée. L’autorité spirituelle n’était nullement compromise par la perte du pouvoir temporel. En 1230, le chapitre a même défié le pape en refusant la proposition de Grégoire IX (1227-1241) que Pierre de Savoie devienne l’un des leurs. Pierre, cependant, a accepté le non placet des chanoines, [pour mémoire, dans les chapitres, les chanoines votent avec des « placet » et des « non placet ». C’est aussi comme cela que se font les votes des Synodes et des Conciles à l’époque contemporaine.] et s’est consolé avec le mariage ! Quand Innocent IV (1243-54) en 1244 exprima son intention de désigner personnellement les titulaires de certaines des stalles prébendales, [Une prébende désigne le bénéfice ecclésiastique attaché à la charge de chanoine ; ce revenu provenant du partage de la mense épiscopale cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9bende] les chanoines lui dirent que ses candidats seraient jetés dans la Saône, s’ils se présentaient.
Les autres officiers de l’église primatiale comprenaient quatre gardiens (deux pour la paroisse et deux pour la cathédrale), représentant les quatre évangélistes; sept chevaliers en référence aux ‘sept esprits de feu’ du livre de l’Apocalypse [1]; treize aumôniers perpétuels à la place du Christ et des apôtres [2]; quarante prêtres adjoints ; vingt clercs inférieurs ; et vingt-quatre enfants de chœur et d’autel. En plus de ceux-ci, les statues de 1330 mentionnent cent vingt surnuméraires. Il y avait au total cent trente personnes dans le chœur. [on se trompe dans la plupart des cas aujourd’hui lorsqu’on parle de « choeur » : ordinairement il s’agit de l’endroit où l’on chante, c’est à dire le lieu où il y a les stalles. il ne s’agit pas de l’endroit où il y a l’autel, c’est à dire où est célébrée la messe qu’on appelle le sanctuaire. Un chœur est donc à la fois un groupe qui chante (acception commune) et le lieu dans l’église où chante (et prie) ce groupe de chantres liturgiques.]
L’archevêque avait une stalle « perpétuelle » et, bien que respecté en raison de ses fonctions, ses pouvoirs étaient limités. Il ne pontifiait pas plus de quatre fois par an – Noël, le Jeudi Saint, Pâques et la Pentecôte. Comme les chanoines, il prêtait serment de garder, de respecter et de défendre les droits et les privilèges du chapitre, et, bien que le doyen lui cédait sa stalle, le primat, lorsqu’il était au chapitre, venait sans les Pontificalia. [les Pontificalia, ce sont les insignes épiscopaux : la mitre, la crosse, la croix pectorale, l’anneau et tout ce qui distingue la dignité (archi-)épiscopale du simple clergé ou du clergé canonial. En particulier, cf. plus loin l’archevêque dans les processions est toujours précédé d’une croix archiépiscopale dont la figure du crucifié est tournée vers lui. NB : Les Pontificalia sont aussi portés par les abbés de monastères, même s’ils ne reçoivent pas l’épiscopat ; au-delà du décorum, les Pontificalia ont une signification précise, qui souligne l’autorité de juridiction. D’où la querelle des Pontificalia entre l’évêque du Mans et Dom Guéranger abbé de Solesmes ; cf. ici : https://www.domgueranger.net/dom-gueranger-abbe-de-solesmes-par-dom-delatte-chapitre-vii/ ] C’était la croix capitulaire, pas celle du métropolitain, qui était portée devant lui lors des cérémonies. Un ecclésiastique prenait la croix de l’archevêque au seuil du cloître, et la « cachait » derrière l’autel, jusqu’à ce qu’il eût quitté l’église primatiale. L’archevêque exerçait son autorité sur le chapitre à l’époque de Leidrade et d’Agobard, mais au 13ème siècle il n’était plus que le premier des aumôniers perpétuels [3], et il devait être un peu plus qu’un « invité » dans sa propre église cathédrale jusqu’au 18ème siècle. La participation au chœur était strictement contrôlée, et un absent était empêché d’assister à la messe capitulaire le jour suivant. Quand l’archevêque pontifiait, il lui fallait officier aux premières vêpres, et, s’il ne le faisait pas, le doyen prenait place à l’autel. En 1743, à l’occasion du jubilé de l’église (S. Jean), le cardinal de Tencin alla voir un feu d’artifice, et par conséquent s’absenta de Matines le jour suivant sans la permission du chapitre, après quoi les chanoines refusèrent de lui permettre d’assister à la messe ou aux vêpres. Si bien qu’en 1757, ce fut le chapitre, et non l’archevêque, qui donna des facultés pour entendre les confessions dans les églises de Saint-Jean, de Saint-Etienne et de Sainte-Croix. L’attachement jaloux aux droits et aux privilèges, avec une crainte constante que l’archevêque ne les enfreigne, est signifié par les deux croix qu’on peut voir aujourd’hui contre le mur derrière le maître-autel: « Quand l’archevêque lève sa croix, les chanoines brandissent la leur de l’autre côté ». Cela doit sûrement être l’explication des deux croix, plutôt qu’un rappel de l’union des Églises d’Orient et d’Occident au deuxième concile de Lyon en 1274, lorsque les croix latine et grecque durent disposées derrière l’autel, au cours de la Messe solennelle célébrée par le pape Grégoire X. Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, nous trouvons un déni des privilèges du chapitre, et ils ont également été annulés par le Parlement de Paris. A cette époque aussi, l’archevêque, Mgr. de Montazet, substitua le missel néo-gallican de Paris à l’authentique missel romain de Leidrade et Agobard. [Une fois de plus une allusion intéressante aux querelles liturgiques du XVIIIème qui montrent que peu d’endroits furent préservés d’une certaine déferlante néo-liturgique jansénisante qui priva de la liturgie authentique et traditionnelle y compris les lieux les plus emblématiques de France. La disparition de l’usage lyonnais est donc dû non pas à une volonté romaine mais au contraire à une déperdition doctrinalo-liturgique gallicane. Cela renvoie à des réflexions récentes sur ce site sur la légitimité des usages locaux.]
[1] Ces chevaliers ont été incorporés dans les rangs du clergé au 16ème siècle.
[2] Les aumôniers perpétuels avaient la charge du chant et des cérémonies, et aussi le maintien des traditions laïques de l’église. Ils étaient autrefois amovibles, et un changement à cet égard a pu les amener à être qualifiés de « perpétuels ».
[3] Tredecim capellanos perpetuos inter quos et praecipuus Archiepiscopus, qui represente Dominum Jesum Christum inter apostolos existantem. Stat. 1337. Archdale A. King. Liturgies des primates. Longmans, Green and Co, 1957, p. 18-21.