Epître de Saint Paul à Timothée, chapitre 2.
1 Avant tout, j’exhorte donc à faire des supplications, des prières, des requêtes, des actions de grâces pour tous les hommes, 2 pour les rois et tous ceux qui sont constitués en dignité, afin que nous puissions mener une vie calme et tranquille, en toute piété et honnêteté. 3 Cela est bon et agréable aux yeux de Dieu notre Sauveur, 4 qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.
A la suite de Saint Paul, l’Eglise a pratiqué la prière des fidèles, ou Oratio Fidelium. Celle-ci est plus connue sous le nom de Prière Universelle.
Voici ce qu’en dit le Concile Vatican II :
Sacrosanctum Concilium, Chapitre II.
53. La « prière commune », ou « prière des fidèles », sera rétablie après l’évangile et l’homélie, surtout les dimanches et fêtes de précepte, afin qu’avec la participation du peuple, on fasse des supplications pour la sainte Eglise, pour ceux qui détiennent l’autorité publique, pour ceux qui sont accablés par diverses nécessites, et pour tous les hommes et le salut du monde entier.
Ainsi, cette prière, qui avait disparu lors des travaux du Concile de Trente, retrouve sa place dans la Liturgie de la Messe. Cette dernière précision n’est pas inutile car l’Oratio Fidelium est présente dans l’autre grand acte liturgique : l’Office Divin. Ainsi, dans les grands offices (laudes et vêpres), le livre officiel de l’Eglise « Liturgia Horarum » a introduit des « Preces » après le cantique évangélique et avant le Pater.
Dans son livre Initiation à la liturgie romaine (Ad Solem 2003), l’abbé Michel Gitton nous donne juste une phrase (c’est un initiation, pas un cours complet) sur l’Oratio Fidelium qu’il rattache au chapitre « les litanies ». L’oratio fidelium est en effet à proprement parler une litanie, comme la litanie des saints, qui est constituée d’une intention de prière à laquelle le peuple répond par une acclamation courte (Kyrie Eleison, ou Ora pro nobis etc…).
En effet, la Litanie des Saints se compose ainsi (cf. Graduale Romanum pp. 831-837 et Graduale Simplex pp. 479-486) :
- Supplication ad Deum : A = Kyrie Eleison, B = supplications appelant le répons Miserere nobis, donc la forme latine de A
- Invocatio Sanctorum : c’est la partie la plus connue, que l’on retrouve également dans une forme courte dans le rituel du baptême
- Invocation ad Christum : appelant le répons soit A = Libera nos, Domine ou B = miserere nobis
- Supplicatio pro variis necessitatibus : partie de litanie que nous retrouvons dans la Liturgie des Heures ou de la Messe, appelant le répons Te rogamus, audi nos
- Conclusio : A = Christe audi nos, Christe exaudi nos, B =Agnus Dei + A
- Oraison
Il faut ajouter ce rapide sommaire, la notice, ou du moins la partie qui nous intéresse de cette notice :
Item supplicationibus pro variis necessitatibus aliquae invocationes addi possunt, rerum et locorum adiunctis accomodatae.
Autrement dit, il est possible de « personnaliser » les intercessions pour des demandes locales et propres à une communauté ou à un évènement. Mais il s’agit d’un ajout, il y a donc des éléments indispensables et obligatoires.
On voit déjà un trait de la Tradition : malgré une certaine latitude, on ne peut et ne doit pas faire n’importe-quoi pour autant. Il s’agit de la Liturgie, pas du journal télévisé.
Regardons ce que disait le T.R.P. Abbé Dom Le Gall, osb, du monastère Sainte Anne de Kergonan, devenu depuis Evêque de Mende puis Archevêque de Toulouse, dans son opus La Messe au fil de ses rites (C.L.D. 1992) pp. 91-92 :
A la Messe, nous constatons que la Prière Universelle fait transition entre la Liturgie de la Parole, qui suscite les demandes, et la Liturgie Eucharistique : plus exactement, elle intervient après l’Evangile,
(…)
La Prière des Fidèles constitue, comme nous venons de le faire remarquer, une parfaite transition entre la Parole, qu’elle conclut, et la Liturgie proprement Eucharistique qu’elle amène, pour ainsi dire. En effet, la grande Prière Eucharistique est l’intercession par excellence (…)
Si on reprend de que nous enseigne cet expert de la Liturgie, nous pouvons y déceler des idées, voir des méthodes pour préparer les intentions de prière. Soulignons ces passages : « la Liturgie de la Parole, qui suscite les demandes« , « la Liturgie proprement Eucharistique qu’elle amène« , « la grande Prière Eucharistique est l’intercession par excellence« .
Ainsi, les intercessions doivent être en cohérence avec les textes, et surtout l’Evangile, du jour mais en même temps doivent avoir une portée Eucharistique. Il faut alors relire l’Exhortation Apostolique Sacramentum Caritatis du Pape Benoît XVI pour trouver des matières concrètes de ce lien avec l’Eucharistie.
Enfin, dans une optique pratico pratique, voici ce que demande le Magistère dans la Présentation Générale du Missel Romain (édition actuelle : 2002) :
69. Dans la prière universelle, ou prière des fidèles, le peuple répond d’une certaine manière à la parole de Dieu reçue dans la foi et, exerçant la fonction de son sacerdoce baptismal, présente à Dieu des prières pour le salut de tous. Il convient que cette prière ait lieu habituellement aux messes avec peuple, afin que l’on fasse des supplications pour la sainte Église, pour nos gouvernants, pour ceux qui sont accablés par diverses misères, pour tous les hommes et le salut du monde entier.
70. Les intentions seront habituellement: a) pour les besoins de l´Église, b) pour les dirigeants des affaires publiques et le salut du monde entier, c) pour ceux qui sont accablés par toute sorte de difficultés, d) pour la communauté locale.
Toutefois, dans une célébration particulière, comme une confirmation, un mariage ou des obsèques, l’ordre des intentions pourra s’appliquer plus exactement à cette occasion particulière.
71. C’est au prêtre célébrant de diriger la prière, de son siège. Il l’introduit par une brève monition qui invite les fidèles à prier. Il la conclut par une oraison. Il faut que les intentions soient sobres, composées avec une sage liberté et peu de mots, et qu’elles expriment la supplication de toute la communauté.
Elles sont proférées d’ordinaire à l’ambon, ou à un autre lieu approprié par le diacre, le chantre, le lecteur ou un autre fidèle laïc.
Le peuple, debout, exprime sa supplication, soit par une invocation commune après chacune des intentions, soit par une prière silencieuse.
On remarquera les points suivants :
– le numéro 70 qui donne des indications très concrètes à combiner dans la formulation avec ce que nous a dit Mgr Le Gall,
– le ministre ordinaire de l’Oratio Fidelium est le Diacre qui doit chanter les intercessions. On trouvera d’ailleurs les finales et répons dans les livres Iubilate Deo pp. 35-36 (Téqui, 1992, réalisé à la demande de Paul VI et revu et augmenté par Jean-Paul II) et le Graduale Simplex pp. 451-453 (Libreria Editrice Vaticana, 1984, réalisé à la demande du Concile Vatican II)
– le prêtre introduit et conclut le rituel.
Un dernier point est celui des exemples. J’en citerai 2 : les grandes Prières Litaniques du Vendredi Saint et les Prières du Pape Gélase. Voici donc un extrait de la Liturgie du Vendredi Saint :
I. Pro sancta Ecclesia |
1. POUR LA SAINTE ÉGLISE |
Oratio dicitur in tono simplici vel, si adhibentur invitationes Flectámus génua – Leváte, in tono sollemni. | L’oraison est dite sur le ton simple ou, si on utilise l’invitation Mettons-nous à genoux – Relevez-vous, sur le ton solennel. |
Orémus, dilectíssimi nobis, pro Ecclésia sancta Dei, ut eam Deus et Dóminus noster pacificáre, adunáre et custodíre dignétur toto orbe terrárum, detque nobis, quiétam et tranquíllam vitam degéntibus, glorificáre Deum Patrem omnipoténtem. | Prions, frères bien-aimés, pour la sainte Église de Dieu: Que le Père tout-puissant lui donne la paix et l’unité, qu’il la protège dans tout l’univers; et qu’il nous accorde une vie calme et paisible pour que nous rendions grâce à notre Dieu. |
Oratio in silentio. Deinde sacerdos: Omnípotens sempitérne Deus, qui glóriam tuam ómnibus in Christo géntibus revelásti: custódi ópera misericórdiae tuae, ut Ecclésia tua, toto orbe diffúsa, stábili fide in confessióne tui nóminis persevéret. Per Christum Dóminum nostrum. R/. Amen. | Tous prient en silence. Puis le prêtre dit: Dieu éternel et tout-puissant, dans le Christ, tu as révélé ta gloire à tous les peuples; Protège l´oeuvre de ton amour: afin que ton Église répandue par tout l’univers demeure inébranlable dans la foi pour proclamer ton nom. Par Jésus, le Christ, notre Seigneur. R/. Amen. |
On remarque la structure qui est la même que pour l’Oratio Fidelium de la Messe : invitation à la prière, intercession puis oraison conclusive par le prêtre.
Pour les intercessions même, je vous propose cet extrait du Pape Gélase :
V/. Dicámus omnes ex toto corde et ex tota mente : Kýrie eléison. R/. Kýrie eléison. | V/. Disons tous de notre cœur et de toute notre âme : R/. Kýrie eleison. |
V/. Pro immaculáta Dei vivi Ecclésia per totum orbem constitúta, divínæ bonitátis opuléntiam. | V/. Pour l’Eglise immaculée du Dieu vivant, établie sur toute la terre, nous implorons la richesse de la bonté divine. |
V/. Pro religiósis princípibus, omníque milítia eórum qui iudícium et iustítiam díligunt, Dómini potentiam obsecrámus. | V/. Pour les chefs temporels soumis à Dieu et pour toute l’armée de ceux qui aiment la justice et l’équité, nous supplions la puissance du Seigneur. |
V/. Pro iucunditáte serenitátis et opportunitáte plúviæ atque aurárum vitálium blandiméntis ac próspero diversórum témporum cursu rectórem mundi Dóminum deprecemur. | V/. Pour l’agrément du beau temps, l’opportune venue de la pluie, la douceur des brises vivifiantes et l’heureux déroulement des diverses saisons, nous prions le Seigneur maître du monde. |
V/. Pro emundatióne animárum corporúmque nostrórum et ómnium vénia peccatórum clementíssimum Dóminum supplicámus. | V/. Pour la purification de nos âmes et de nos corps et le pardon de tous nos péchés, nous supplions le Seigneur très clément. |
V/. Pro ómnibus intrántibus in hæc sanctæ domus Dómini atria, qui religióso corde et súpplici devotióne convenérunt, Dóminum glóriæ deprecámur. | V/. Pour tous ceux qui entrent dans cette sainte maison de Dieu et se réunissent avec la dévotion d’un cœur humble et pieux, nous prions le Seigneur de gloire. |
V/. Pro refrigério fidélium animárum, præcípue (fratrum qui / sororum quæ) nobiscum Christo militavérunt, Dóminum spíritum et univérsæ carnis iúdicem deprecámur. | V/. Pour le repos des âmes des fidèles, spécialement de notre frère / de notre sœur et des frères ou des sœurs qui ont servi le Christ avec nous, nous prions le Seigneur des esprits et le juge de toute chair. |
V/. Exáudi nos, Deus, in omni oratióne nostra, quia pius es. | V/. Exauce-nous, ô Dieu, en toutes nos prières, car tu es bon. |
Quelque chose vous a frappé ? Le style ! A aucun moment, – sauf à la dernière invocation des prières de Gélase (certainement réservée au président – prêtre ! – de l’assemblée liturgique) – on n’utilise la 2ème personne. Ce qui signifie que le diacre, – qui est le ministre ordinaire de la prière universelle – fait essentiellement des monitions. Il ne s’adresse jamais directement à Dieu ; c’est la prière des fidèles (oratio fidelium), qui exercent à ce moment précis et de façon explicite leur sacerdoce baptismal par l’invocation : Kyrie Eleison (Seigneur, aie pitié) ou Te rogamus audi nos (Nous T’en supplions écoute-nous).
En un mot comme en cent, les invocations de la prière universelle ne peuvent pas être composées sur le modèle des collectes (encore appelées « prières d’ouverture ») de la messe. Le « Seigneur nous Te prions » doit être exclu, au profit de « prions le Seigneur pour… ». Le diacre ou le ministre en charge de ces invocations ne doit jamais s’adresser à Dieu ; il fait des monitions au peuple. S’adresser à Dieu est le ministère (service) du prêtre célébrant / président la fonction liturgique. Si le ministre ou le diacre qui profère les intentions de la prière universelle s’adresse directement à Dieu, alors il prive le peuple de son sacerdoce baptismal…. C’est alors du cléricalisme (y compris si ce ministre n’est pas clerc…). Il prive aussi le prêtre de sa fonction de pontife entre le peuple et Dieu. N’ayons pas peur des mots : c’est un abus grave.
1 réflexion au sujet de « La prière universelle : Oratio Fidelium »