Voici quelques rappels de bon aloi, plus que jamais nécessaires, signés par le P. Louis Bouyer :
« (…) Les antiquaires dénués de scrupules n’ont jamais connu d’aussi beaux jours que depuis qu’on leur liquide les quelques belles choses qui pouvaient demeurer dans les sanctuaires – dont le prêtre pourtant n’est que le gardien – pour payer les caisses à savons dont on construira le « podium », où se dresseront les tréteaux baptisés « autel face au peuple », plus les quelques blouses de garçons épiciers qui feront les « aubes » nécessaires à la figuration. Après quoi, il ne reste plus qu’à planter le micro pour la messe-crochet radiophonique. En ces temps où, comble d’ironie, on ne parle que de « promotion des laïcs », le cléricalisme le plus ingénu se donnera libre cours dans ce décor fait par lui et pour lui. L’intarissable « commentateur », occultant sans peine l’officiant falot qui expédie derrière lui les exigences rubricales, pourra imposer enfin sans contrainte au bon peuple chrétien la religion de M. le Curé ou de M. le Vicaire à la place de celle de l’Église… L’ennui que dégagent ces « célébrations » a fait rejoindre d’un coup au catholicisme le plus évolutif ce que le protestantisme le plus rétrograde pouvait connaître de désolante pauvreté. (…) Il paraît que l’Église convertirait tout le monde si seulement les Évêques coupaient leur cappa magna. Reste à savoir si, pour restituer à l’Église l’esprit de pauvreté des Béatitudes, il suffit de la mettre en savate. Et, quand tel serait le cas, il faudrait encore être sûr que la pauvreté doive être présente d’abord dans le culte, et non dans la vie des chrétiens. C’est un peu facile de se faire une bonne conscience sur ce point en louant Dieu dans une bicoque pour ensuite retrouver chez soi sa télévision, son frigidaire, son chauffage central, toutes choses dont il ne peut être question pour personne de se priver au nom de quelques conseils évangéliques, trop évidemment dépassés par la « planétisation » contemporaine ! Osons donc mettre en doute deux préjugés qui font de la liturgie catholique, de nos jours, trop souvent, la plus triste chose qu’elle ait jamais été. Le premier, c’est qu’elle ne peut être évangélique qu’en étant pauvre. Et le second, c’est que la pauvreté, c’est le négligé. (…) La pauvreté dans le culte ne signifie point le laisser-aller (qui produit régulièrement les formes de laideur les plus sinistres), et un culte authentiquement pauvre, même s’il répond à certaines exigences de la foi, ne répond pas à toutes. (…) Défions-nous d’une pauvreté iscariote, qui lésine au nom des pauvres sur les frais du culte, quoi qu’elle ne se fasse aucun scrupule de jeter l’argent par les fenêtres pour toutes sortes d’inutilités qui n’ont pas l’excuse (ou le tort) d’être belles. » (P. Louis BOUYER, Oratorien).
Mais qui donc est cette personne qui ose dire des choses aussi violentes ? Un « intégriste », un promoteur d’une vision étriquée du traditionnalisme ?
Voici donc une présentation (comme d’habitude, commentaires et soulignements sont de nous).
Présentation (source : http://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/Le-parcours-etonnant-de-Louis-Bouyer-theologien-de-renom-2014-09-24-1211188 )
MÉMOIRES, Louis Bouyer
ÉDITIONS CERF, PARIS , 336 PAGES , 29 €
MÉMOIRES
de Louis Bouyer
Paris, Éditions Cerf, 336 p., 29 €
Le P. Louis Bouyer (1913-2004) fut certainement un des plus grands théologiens du XXe siècle, en tout cas un de ceux, finalement assez rares, qui réussirent à publier de vraies synthèses. Dans l’abondance de ses publications, on trouve en effet trois trilogies consistantes, dont une consacrée à la Trinité : Le Fils éternel (1974), Le Père invisible (1976) et Le Consolateur (1980).
En liturgie, il fut un des pionniers dans les années qui précédèrent le concile Vatican II et son fameux Mystère pascal (1945) avait été lu et médité par bien des pères conciliaires… Ensuite, dans les années post-conciliaires, il se montra assez critique sur les évolutions en cours dans l’Église, ce qui ne lui valut pas que des amis dans les milieux universitaires de l’époque ! [C’est le moins qu’on puisse dire. Il fut en quelque sorte ostracisé par la bien pensance cléricale de l’époque.]
Aujourd’hui, depuis son décès, ses œuvres les plus importantes sont heureusement rééditées, surtout au Cerf et chez Ad Solem. Il manquait alors ses mémoires, qu’il avait expressément voulu voir paraître après sa mort : nombreux furent alors ceux qui les attendaient depuis presque une décennie !
Écrites dans une langue française du plus pur classicisme, ces Mémoires donc enfin parus racontent un itinéraire étonnant. Bouyer fut en effet l’enfant unique d’un couple protestant établi à Paris ou dans sa proche banlieue.
Les débuts de l’ouvrage racontent assez longuement son enfance et sa jeunesse, marquées, alors qu’il avait 11 ans, par la mort de sa mère, chrétienne qui resta durablement influencée par la stricte piété darbyste expérimentée lors d’un séjour en Angleterre.
Esprit brillant, Bouyer devint pasteur assez jeune. Pour lui, le protestantisme, plus précisément le luthéranisme, ne se situait pas dans une opposition systématique au catholicisme et à l’Église des origines, comme pour beaucoup d’autres protestants malheureusement.
Au contraire, il souhaitait essayer une « recatholicisation du protestantisme, non seulement restant mais devenant, de ce fait, plus fidèle que jamais à l’inspiration première et fondamentale de la Réforme». [Prêtre oratorien, son parcours est une sorte de parallèle, en terme de conversion et de théologie, de celui de Newman]Mais il dut bien se rendre compte que c’était là une tâche titanesque et, finalement, il devint catholique à l’âge de 26 ans.
Toute sa vie attiré par les bénédictins, il entra néanmoins à l’Oratoire de France qui lui laissa toujours une grande liberté. [Il est enterré à l’abbaye Saint Wandrille]
Ses Mémoires vont jusqu’au Concile. Ce qu’il raconte est très intéressant, mais toujours pointe un ton polémique ; car Bouyer, peu conciliant, ne se sentira jamais vraiment à l’aise par rapport à certaines orientations conciliaires, et encore moins par rapport à leurs mises en pratique ultérieures, qu’elles soient liturgiques ou ecclésiologiques (il est très virulent sur la collégialité épiscopale, par exemple).
Il n’hésite pas non plus à s’attaquer nommément à tel ou tel homme d’Église qui a pu jouer un rôle important au Concile («Le méprisable Bugnini», [C’est grâce à Bouyer que la forfaiture menée par Bunigni sur le Consilium pour l’application de la réforme liturgique du Concile, c’est-à-dire la commission de liturgiques désignés par le pape pour mettre ene œuvres les orientations de Sacrosanctum Conclium, la constitution dogmatique sur la liturgie de Vatican II – dont Bouyer était membre – a été connue du pape Paul VI ; ] «Le brave et quelque peu nigaud Charles Moeller», «Un trio de maniaques», «Ces trois excités», etc.).
Bref, que ce soit dans sa charge d’enseignant en théologie à la Catho de Paris ou à la Commission théologique internationale, il eut du mal à collaborer avec d’autres et préféra démissionner, ce qui lui laissa des aigreurs durables. [le manque d’esprit d’équipe, c’est en effet souvent le reproche qu’on fait aux esprits brillants et libres, aux défenseurs de l’intelligence et de la vérité…]
Il est un peu dommage que sa verve polémique soit si présente dans ses dernières pages mais, heureusement, il nous reste de toute manière à nous replonger dans son œuvre théologique ; là, nous savons avec certitude que nous en tirerons toujours du profit…
David Roure
Voir aussi :
Alors je veux bien qu’on fasse l’éloge du père Bouyer… mais une question mérite alors de se poser: si Mgr Bugnini a eu une influence détestable sur la réforme liturgique… faut-il en conclure que la forme ordinaire du rite romain (issue de cette réforme liturgique) est viciée? Que Mgr Lefebvre avait raison?