CE DIMANCHE, nous ne savons plus où donner de la tête : Quasi modo, l’apparition à Thomas l’incrédule, le dimanche de la Miséricorde, et puis voilà la canonisation de deux grands papes du 20e siècle. Que d’occasions de nous réjouir ! Que d’occasions de méditer !
Parlons, si vous le voulez bien, de ces deux grands héros de la foi qui nous sont donnés comme des lumières sur notre route. Pour l’un d’entre eux, il est encore si proche de nous, que nous avons l’impression qu’il va encore apparaître avec son sourire sur nos écrans de TV et nous parler avec son accent que nous n’avons pas oublié. L’auteur de ses lignes se souvient qu’il l’avait reçu longuement à Cracovie, en le faisant parler sur son ministère…
Quand l’Église canonise un pape (ce qu’au total elle n’a pas fait beaucoup pendant des siècles), ce n’est pas une ligne politique, un style de gouvernement, des idées, qu’elle canonise, c’est un homme, un homme qui a entendu à l’appel de Dieu et qui a essayé d’y répondre à ses risques et périls. Bien sûr, son rôle sur la scène publique entre en ligne de compte, car c’est là qu’il a pu le moins se cacher : surtout à l’époque moderne le pape est un homme public dont on saisit le moindre geste, la moindre inflexion de voix. C’est là aussi qu’il est allé jusqu’au bout, n’ayant plus rien à préserver. Ce don total fait à l’Église est sensible, quand on lit les lignes que l’un et l’autre de nos deux nouveaux saints ont écrites au moment de leur élévation au souverain Pontificat.
Mais finalement la canonisation revient à reconnaître au Pape une fonction qui n’entre pas a priori dans sa titulature : celle de prophète. Prophète au sens biblique, pas au sens de devin qui annoncerait l’avenir bien sûr, prophète en ce sens qu’il met l’homme, et là réellement tous les hommes d’une génération, croyants ou pas, face la vérité de Dieu. La différence avec les hommes politiques est si grande qu’elle saute tout de suite aux yeux et qu’elle explique l’audience énorme, disproportionnée avec la place de l’Église catholique dans la société, que rencontrent depuis le milieu du 20e siècle le discours et la personne des papes.
C’est comme si le Seigneur, qui veille sur son Église, avait trouvé un autre chemin pour toucher le cœur des hommes que la lente croissance des communautés chrétiennes. Ou plutôt que, pour préparer le renouveau dans le Corps ecclésial, il avait voulu cette provocation qui va beaucoup plus loin que les réseaux en place, qui court-circuite les organisations officielles, pour rejoindre les peuples à évangéliser ou à ré-évangéliser, fissurer les convictions hostiles, investir de l’intérieur les cultures apparemment les plus étrangères au christianisme.
Bien sûr, les voyages aux quatre coins du monde et la capacité médiatique du pape Wojtyla y ont été pour beaucoup, mais, avec Jean XXIII, il n’y a eu ni voyage lointain, ni one man show, et pourtant, compte-tenu de l’époque, l’impact a été énorme. L’âge même du pape semble y jouer un faible rôle. Roncalli a été élu à près de 77 ans et nous avons tous devant les yeux le pauvre visage tuméfié du dernier Jean-Paul II.
C’est dans la faiblesse que Dieu remporte ses plus hautes victoires. Et celle à laquelle nous sommes en train d’assister n’est pas des moindres…
Michel GITTON